Page:Bourget - Le Disciple.djvu/74

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
73
LE DISCIPLE

être n’aurai-je pas à traverser cette corvée et tout est-il fini… »

— « Fini ?… » Et déjà le bourgeois casanier cédait la place dans ce monologue intérieur au second des trois personnages cachés dans le philosophe, à l’écrivain d’ouvrages discutés avec passion par le public, « Fini ?… Envers le moi qui va et qui vient, qui habite rue Guy-de-la-Brosse et que cela ennuierait ferme de partir comme cela pour l’Auvergne en hiver et si bêtement, soit… Mais envers mes livres et mes idées ?… Quelle étrange chose que cette haine instinctive des ignorants pour des systèmes qu’ils ne peuvent même pas comprendre !… Un jeune homme jaloux tue une jeune fille pour empêcher qu’elle n’en épouse un autre. Ce jeune homme a été en correspondance avec un philosophe dont il étudie les ouvrages. C’est le philosophe qui est le coupable. Et me voilà devenu matérialiste, moi qui ai démontré la non-existence de la matière !… » Il haussa les épaules, puis une nouvelle image traversa son souvenir, celle de Marius Dumoulin, le jeune professeur du Collège de France, l’homme qu’il détestait le plus au monde. Il vit en même temps, comme si elles eussent été là, écrites, devant lui, dans une revue bien pensante, quelques-unes des formules chères à ce défenseur attitré du spiritualisme : « Les funestes doctrines… Le poison intellectuel distillé par des