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LE DISCIPLE

« Robert Greslou a-t-il vraiment assassiné Mlle de Jussat ? » Le philosophe n’y songea même point, s’abandonnant sans s’en rendre compte à ce défaut des esprits généralisateurs qui ne vérifient jamais qu’à demi les données sur lesquelles ils spéculent. Les faits ne sont pour eux qu’une matière à exploitation théorique, et ils les déforment volontiers pour mieux échafauder leurs systèmes. Celui-ci reprit la formule par laquelle il s’était résumé ce drame à lui-même : « Un jeune homme qui devient jaloux et qui tue, voilà une preuve de plus à l’appui de ma thèse que l’instinct de la destruction et celui de l’amour s’éveillent ensemble chez le mâle… » Il s’était servi de ce principe pour écrire dans sa Théorie des passions un chapitre d’une extraordinaire audace sur les aberrations du sens génésique. « La réapparition de l’animalité féroce chez le civilisé suffirait seule à expliquer cet acte… Il faudrait aussi étudier l’hérédité personnelle de l’assassin… » Il s’efforça de se représenter Robert Greslou, sans parvenir à ressusciter de cette image d’autres traits que ceux qui confirmaient l’hypothèse déjà ébauchée dans sa tête. « Ces yeux noirs très brillants, ces gestes trop vifs, cette manière brusque d’entrer en relations avec moi, ces enthousiasmes en me parlant… Il y avait du détraquement nerveux dans ce garçon. Le père est mort jeune ? Si l’on établissait qu’il y a de l’alcoo-