Page:Bourget - Les Deux Sœurs, Plon-Nourrit.djvu/117

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auquel la conviait Agathe s’était dessiné, devant son imagination, dans son intolérable détail. Elle s’était vue recevant celui qu’elle aimait, – car elle l’aimait, et combien, elle pouvait le constater à son trouble ! – Ce serait dans cette même pièce. Il se tiendrait là, respirant, vivant, la regardant, la bouleversant, par sa seule présence et ne le sachant pas, ne devant jamais le savoir, puisqu’elle voulait continuer de s’estimer, et rester vraiment fidèle à l’honnête homme dont elle portait le nom. Une autre fidélité, celle qu’elle avait vouée à sa sœur, exigerait que Madeleine fît plus. Il lui faudrait provoquer chez son interlocuteur l’aveu de son amour pour une autre. L’entendrait-elle, aurait-elle la force de l’entendre dire : « J’aime Mme de Méris ? … » Si pourtant Brissonnet n’aimait pas Agathe ? Si une autre déclaration montait aux lèvres de l’officier, obligé après cette démarche de Mme Liébaut de cesser ses visites chez les deux sœurs et ne le supportant pas, parce qu’en effet il aimait l’une d’elles, – mais pas celle qu’il pouvait épouser ?… Que deviendrait la femme secrètement éprise, s’il lui fallait entendre des mots dont la seule énonciation en sa présence était un crime contre la foi jurée, contre ce foyer qui si longtemps lui avait suffi, auquel elle tenait toujours par tant de fibres, les meilleures, les plus profondes de son être, par sa tendresse pour Charlotte