Page:Bourget - Les Deux Sœurs, Plon-Nourrit.djvu/137

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preuve que ce romanesque tant souhaité ne réside ni dans les événements exceptionnels, ni dans les destinées extraordinaires. Les cœurs sérieux et profonds, ceux qui ont « accepté » leur vie, – comme elle avait dit ironiquement sur le quai de la gare, – qui s’y sont attachés par leurs fibres les plus secrètes, sont aussi ceux qui éprouvent au plus haut degré ces émotions intenses, vainement demandées par tant d’imaginations déréglées aux révoltes et aux complications :

– « Agathe », reprit Liébaut après un silence, « les choses que j’ai à vous dire sont si graves, si intimes, qu’au moment de les formuler les mots me manquent… Nous n’avons jamais beaucoup parlé à cœur ouvert, vous et moi. Ne voyez pas un reproche dans cette phrase… » insista-t-il en arrêtant sa belle-sœur d’un geste, comme elle protestait. « La faute est toute à moi qui ne vous ai pas fait voir assez à quel point j’étais disposé à vous aimer comme un frère… Mais oui, j’ai toujours été ainsi, même avec Madeleine. Je ne sais pas me raconter. C’est ridicule, je m’en rends trop compte, un médecin timide, un médecin sentimental et qui garde à part lui des impressions qu’il n’ose pas exprimer !… C’est ainsi pourtant, et sur le point d’avoir avec vous un entretien d’où dépend peut-être tout mon bonheur, il faut que je vous aie dit d’abord cela, pour que vous ne me croyiez pas fou, tant l’homme que je vais vous