Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/108

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ait des mains de servante comme les miennes, » — et elle montrait ses doigts où se voyaient les traces des piqûres de l’aiguille— « et la nécessité de travailler à l’heure comme les cochers de fiacre, pour gagner de l’argent… Ici tu n’as pas eu le luxe, c’est vrai, mais je t’ai donné le loisir… »

— « Bonne et chère sœur ! … » dit René, touché aux larmes par la profondeur d’affection que révélait cette sortie, et davantage encore par la complicité que ses secrètes convoitises rencontraient dans cette affection. Quoique le nom de Rosalie n’eût jamais été prononcé entre eux d’une certaine manière, et qu’Émilie n’eût jamais reçu les confidences de son frère, ce dernier se rendait bien compte que sa sœur avait deviné longtemps son innocent secret. Il savait qu’avec ses visées ambitieuses, elle n’aurait jamais approuvé ce mariage. Mais eût-elle parlé comme elle venait de faire si elle avait connu les détails complets de son roman ? Lui aurait-elle conseillé une trahison, — car c’en était une, et de celles qui pèsent le plus au cœur né pour la noblesse : la trahison sentimentale d’un homme qui change d’amour, et qui prévoit, qui éprouve déjà le contre-coup des douleurs que sa perfidie irrésistible infligera ? … Aussitôt Émilie partie, et tout en s’habillant, René se laissa entraîner par les idées que la dernière phrase de sa sœur