Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/110

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coloriées, un tout modeste service en porcelaine blanche, avec des verres un peu gros, parce que les maladresses combinées de Fresneau, de Constant et de Françoise auraient rendu l’usage du cristal trop coûteux pour le budget de la famille. Le bon Fresneau, avec sa longue barbe, son regard distrait, mangeait vite, s’accoudant sur la table, portant son couteau à sa bouche, aussi commun de manières qu’il était distingué de cœur ; et, comme pour faire mieux ressortir par le contraste l’impression de cosmopolitisme oisif éprouvée par René, il racontait en riant sa demi-journée. À sept heures du matin, il avait donné une répétition à l’école Saint-André. De huit à dix heures, il avait fait une classe dans cette même école aux petits garçons encore trop faibles pour suivre le lycée. Il n’avait eu que le temps ensuite de grimper sur l’impériale de l’omnibus du Panthéon qui l’avait conduit à une troisième leçon, rue d’Astorg, tout près de Saint-Augustin.

— « J’ai acheté un journal en route, » ajoutait le brave homme, « pour y voir le récit de la soirée d’hier… Tiens, » ajouta-t-il en fouillant dans les poches d’une serviette de cuir blanchie par l’usage, bourrée de livres, et ficelée par une courroie, « je l’aurai égaré… »

— « Tu es si distrait, » fit Émilie presque avec aigreur.