Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/139

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qui pousse une femme à martyriser l’homme dont elle ne peut pas fuir les caresses. Il y a eu, dans l’histoire, des reines qui ont aimé ainsi, et fait couper la tête aux amants qui exerçaient sur elle ce pouvoir étrange de parler à la fois à leur désir et à leur haine. René répondit doucement :

— « C’est vrai que j’étais inquiet de lui hier au soir, et que vous avez été bien dure… »

— « La belle histoire ! » fit Colette en riant de son plus mauvais rire, « je vous ai déjà dit que vous le gobiez… Moi, j’en suis revenue, depuis le jour où il m’a menacée de se tuer, et je suis arrivée ici comme j’étais, en robe de théâtre, sans même ôter mon rouge… Et je l’ai trouvé qui corrigeait des épreuves ! … »

— « Mais c’est le métier, » répliqua Claude, « tu joues bien un rôle gai avec un chagrin dans le cœur ! … »

— « Qu’est-ce que cela prouve ? » dit-elle aigrement, « que nous sommes deux cabotins ; seulement je t’accepte comme tu es, et toi non… »

Tandis qu’elle continuait, taquinant Claude avec cette espèce de lucidité féroce qu’une maîtresse rancunière possède à son service, contre l’homme avec qui elle a dormi cœur à cœur, René avait avisé sur le bureau de son ami un de ces annuaires de la société qui, sous le