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Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/143

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du désir et son charme païen s’évanouissent, — cette harmonie complète et suprême ne se rencontre-t-elle pas dans des créatures à qui les hasards de la naissance et de la fortune ont fait un milieu de naturelle aristocratie, et qui ont assez de finesse en elles pour valoir autant que ce milieu ? Madame Moraines n’était-elle pas ainsi ? Telle l’avait devinée du moins le poète par son impression première, et il se complut à raviver cette impression par le raisonnement. Oui, cette femme délicieuse, dont le fantôme passait sur son souvenir comme une caresse, possédait ce double charme : une grâce des gestes et de la toilette supérieure à celle de l’actrice, une grâce du cœur égale à celle de Rosalie. Ses fines manières, sa voix douce, l’idéalité de sa conversation, le révélaient du premier coup. René marchait parmi ces pensées, en proie à une sorte de mirage qui le rendait étranger aux sensations environnantes. Il se réveilla de ce somnambulisme sentimental au sortir du pont des Invalides et dans le milieu de l’avenue d’Antin. Ses pieds l’avaient mené, automatiquement, sur le chemin du quartier où vivait cette Suzanne, dont l’image s’évoquait, depuis le matin, au terme de toutes ses rêveries. Il sourit à l’idée qu’il avait fait autrefois de véritables pèlerinages vers cette rue Murillo, lorsque Gustave Flaubert y habitait. René admirait