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Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/172

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avec les cinquante mille francs par an qu’ils avaient à dépenser. Les débris de la fortune de l’ancien ministre de l’Empire, qui n’avait quasi rien économisé dans quinze ans de grandes places, représentaient la moitié de ce budget annuel. Le reste était le produit d’une place de secrétaire général dans une compagnie d’assurances, procurée par Desforges. Malgré les observations de Suzanne, Paul n’avait pas perdu la déplorable habitude de s’extasier sur l’adresse de sa compagne à gouverner des revenus, très médiocres pour le monde où les Moraines se maintenaient. Il était demeuré, grâce à la naïveté de sa confiance, l’homme qui dit à ses amis, en train de gémir sur la cherté croissante de l’existence : « Si vous aviez une ménagère comme moi ! Elle a une femme de chambre… une fée, qui lui fait les robes des grandes couturières ! … Et un art pour dénicher les bibelots ! … » — « Tu me rends ridicule, » lui disait Suzanne, mais il l’aimait trop pour se priver de cet éloge, et encore à cette minute, aussitôt Desforges parti, son premier mouvement fut de venir à elle, de lui prendre les deux mains, et de lui dire :

— « Que c’est bon de t’avoir un peu à moi tout seul ! … Embrasse-moi, Suzanne. »

Elle lui tendit, de même qu’à Desforges, son œil mi-clos et le coin de sa bouche.