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Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/176

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anglaise, jusqu’à la large table de marbre, avec son lavabo d’argent et les mille outils compliqués des parures secrètes. Eut-elle à cette vue un ressouvenir des diverses conditions qui lui assuraient cette heureuse existence ? Toujours est-il qu’elle pensa à son mari et qu’elle se dit : « Le brave cœur ! … » Les pierres qu’elle avait gardées aux oreilles jetèrent des feux, et, se rappelant Desforges, elle se dit presque dans la même pensée : « Le bon ami ! … » Ces deux impressions si contradictoires se conciliaient dans cette tête dont les cheveux fins ondulaient sous l’écaille blonde, comme les deux faits se conciliaient dans sa vie. Les femmes excellent à ces mosaïques morales, qui cessent de paraître monstrueuses, quand on en a suivi le tranquille et progressif travail. Cette Parisienne de trente ans était, certes, aussi parfaitement corrompue qu’il est possible de l’être, mais, pour être juste à son égard, il faut ajouter aussitôt qu’elle ne le savait pas, tant elle s’était bornée à subir les circonstances qui l’avaient menée, heure par heure, à ce degré singulier d’immoralité inconsciente.

Suzanne s’était laissé marier avec Paul Moraines, deux années avant la guerre de 1870, sans répulsion comme sans enthousiasme : cela s’arrangeait ainsi entre les familles ; le vieux Moraines, sénateur depuis le début de l’Empire,