Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/219

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de honte. Il était entré avec l’intention de célébrer les louanges de Suzanne à son ami, et voici que le ton narquois de Claude avait tranché cette confidence, à même ses lèvres, comme avec une lame aiguisée et froide.

— « Ah ! vous n’en êtes pas amoureux ! … » reprit l’autre en ricanant d’un rire détestable. Puis, tout d’un coup, par un joli mouvement d’âme, comme il en avait, lorsque sa vraie et première nature reprenait le dessus, il dit : « Pardon ! » et il serra la main du jeune homme. Il lut dans les yeux de ce dernier que ce mot et ce geste allaient provoquer une effusion ; il l’arrêta : « Ne me racontez rien… Vous m’en voudriez ensuite… Je vous écouterais si mal aujourd’hui ! … Je souffre trop et cela rend méchant… »

Ainsi, même la fausse manœuvre de Suzanne tournait en faveur de son plan d’ensorcellement. Le seul homme dont elle eût à craindre l’hostilité venait de se condamner lui-même à ne point parler. Comme René avait besoin de déverser dans un confident le trop-plein de ses émotions, ce fut vers Émilie qu’il se tourna, et la pauvre Émilie, par une naïve vanité de sœur, se trouvait d’avance être la complice de l’inconnue qu’elle entrevoyait, par les yeux de son frère, comme auréolée d’un nimbe d’aristocratie ! Dès le lendemain