Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/243

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d’abonder dans le sens de ses idées, qui aurait fait illusion à de plus habiles connaisseurs du mensonge féminin, que ce poète de vingt-cinq ans. Il y avait même pour lui dans cette promenade quelque chose de si complet, une telle réalisation de ses plus secrètes chimères que cet extrême atteint lui faisait mal. L’heure avançait, et il se sentait saisi d’une émotion indéfinissable où tout se mélangeait : l’excitation nerveuse où la vue des chefs-d’œuvre jette toujours un artiste, le remords d’une coupable duplicité, comme d’une profanation de son passé par son présent, et de son présent par son passé, le sentiment aussi de la fuite irréparable de cette heure. Oui, elle s’en allait, cette heure douce que tant d’heures suivraient, vides, froides, noires, et jamais, non, jamais, il n’oserait demander à son adorable compagne de recommencer cette promenade ! Elle, la spirituelle épicurienne, était en train de prolonger le délice de cette possession morale du jeune homme, comme elle aurait prolongé le délice d’une possession physique. Voluptueusement, savamment, elle l’étudiait, sans en avoir l’air, du coin de son œil bleu, si doux entre ses longs cils d’or. Elle ne se rendait pas un compte exact de toutes les nuances d’idées qu’il traversait. Elle le connaissait déjà très bien dans l’intime de sa nature, mais elle ignorait presque