Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/28

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devoir : soigner sa mère alitée, veiller au minutieux détail d’un ménage où cinquante centimes étaient une somme, suivre l’éducation de son frère, heure par heure. Et elle avait mené cette dure tâche jusqu’au bout, sans que la fatigue d’une telle existence, qui pâlissait un peu le rose de ses joues amincies, lui arrachât une seule plainte. Elle avait ressemblé à ces ouvrières des vieilles chansons parisiennes, qui se consolent des lassitudes d’un âpre et continu travail, pourvu qu’elles aient une fleur épanouie sur le rebord de leur fenêtre. Sa fleur, à elle, avait été ce jeune frère, charmant enfant aux beaux yeux mobiles, qui avait tout de suite récompensé la douce Émilie de son dévouement par ces succès de collège, — solennelles réjouissances pour les femmes de l’humble bourgeoisie, si dépourvues de fêtes. Très jeune, ce frère avait commencé d’écrire des vers, et l’heureuse Émilie avait été la confidente des premiers essais du jeune homme. Aussi, lorsqu’elle fut demandée en mariage par Fresneau, dans les six mois qui suivirent la mort de la mère, elle mit à son consentement cette première condition que le professeur, agrégé de la veille, ne quitterait point Paris, et que René continuerait de vivre avec eux, sans prendre aucune carrière que celle des lettres. Fresneau accepta cette exigence avec délices. Il était de ces gens