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Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/291

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allait au théâtre, faisait ses visites sur cette unique pensée. Sa bonne chance voulut que Desforges, sermonné sans doute par le docteur Noirot, ne lui demandât point de rendez-vous rue du Mont-Thabor pour cette semaine. Elle ne se dissimulait pas que ce n’était que partie remise. Même devenue la maîtresse de René, il lui faudrait continuer d’être celle de l’homme qui suffisait à toute une portion de son luxe. Elle acceptait cette idée, sans plus de répugnance que celle d’être l’épouse de Paul. « Qu’est-ce que ça peut te faire puisque je n’aime que toi ? … » disent à leur amant les femmes en puissance de mari ou d’entreteneur, lorsqu’elles ont à subir une de ces grotesques scènes de jalousie où se manifeste la sottise de celui qui ne veut pas partager ! … Elles ne sont jamais plus sincères qu’en prononçant cette phrase. Elles savent si bien que de se donner dans l’amour n’a rien de commun pour elles avec se donner dans le devoir, dans l’intérêt, ou même dans le plaisir. Mais si ce partage de ses caresses n’avait rien qui choquât Suzanne, elle n’en était pas moins heureuse qu’il fût remis à plus tard. Elle pourrait avoir eu quelques bons jours, entièrement consacrés à son sentiment nouveau. En cela encore elle était bien une courtisane, une de ces créatures qui deviennent, lorsqu’elles sont éprises, des artistes en