Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/358

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sa tournure d’officier entraîné, son teint à la fois trop rouge et comme flétri, ses cheveux grisonnants… Et elle ! Il se la figura telle qu’il l’avait tant aimée le matin encore, si blonde, si blanche, si fine, avec ses yeux bleus si purs, avec cette délicatesse de tout son être qui donnait un caractère presque idéal aux baisers les plus passionnés. Et c’était cette femme qui avait pu être salie d’un tel racontar ! « Le monde est trop horrible ! » dit René tout haut, « Et quant à Claude… » Il avait eu pour ce dernier une affection si vraie, et c’était cet ami, le plus cher, qui avait parlé contre sa Suzanne de cette ignoble manière, comme un goujat et comme un traître. Quel contraste avec ce pauvre ange ainsi insulté qui, le sachant, n’avait pas trouvé d’autre vengeance que de dire : « Je lui ai pardonné ! … » Et toutes les autres fois qu’elle avait nommé Claude, ç’avait été pour le louer de son talent, pour le plaindre de ses fautes ! Brusquement René se rappela cette autre phrase de son innocente madone : « Ce n’est pas une raison de se venger sur les autres femmes en leur faisant la cour au hasard. J’ai presque dû me fâcher un jour que je me trouvais à table à côté de lui… » — « Voilà la cause ! » se dit le jeune homme avec une recrudescence de colère, « il lui a fait la cour, elle l’a repoussé, et il la diffame… C’est trop dégoûtant ! … »