Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/369

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quelques semaines, les joues de son frère s’amincir, ses yeux se cerner, une pâleur de lassitude s’étendre sur ce visage chéri. Quoique profondément honnête, elle était trop fine pour ne pas attribuer cette fatigue à sa véritable cause. Elle y songeait, en recopiant les fragments du Savonarole comme elle avait fait ceux du Sigisbée ; et, bien qu’elle éprouvât une admiration aveugle pour la moindre page sortie de la plume de René, toutes sortes de signes venaient lui attester la différence d’inspiration entre les deux œuvres, depuis le nombre des vers composés à chaque séance de travail jusqu’aux remaniements continuels des scènes, jusqu’à l’écriture qui avait perdu un peu de sa fermeté nerveuse. La source de fraîche, de large poésie d’où avait jailli le Sigisbée, semblait maintenant tarie. Qu’y avait-il de changé pourtant dans l’existence de René ? Une femme y était entrée. C’était donc à l’influence de cette femme qu’Émilie attribuait cet affaiblissement momentané dans les facultés du poète. Elle allait plus loin, jusqu’à en vouloir à la redoutable inconnue des douleurs de Rosalie. Par un mirage de mémoire, familier aux âmes excessives, elle oubliait quelle part elle-même avait prise à la rupture de son frère avec la petite Offarel. C’était madame Moraines sur qui retombait toute la faute, et, aujourd’hui,