Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/374

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qui succéda, Suzanne put comprendre encore davantage que René avait dû souffrir, d’une souffrance à laquelle sa pensée, à elle, était mêlée. Il y avait, dans la fureur de cette étreinte, un peu de cette âpre colère qui avive la passion en excluant la tendresse. Quand ils se retrouvèrent aux bras l’un de l’autre, au sortir de cette crise aiguë de sensualité, la maîtresse reprit, de sa voix la plus douce, la plus propre à s’insinuer jusque dans le fond de cette âme qu’elle avait toujours connue si ouverte :

— « Quel chagrin t’a-t-on fait que tu ne me dis pas ? »

Ah ! si elle eût prononcé cette phrase dès le début de leur entretien, il n’aurait pas trouvé en lui la force de se taire. Il lui aurait répété son entretien avec Colette, parmi des baisers et des larmes. Hélas ! Il ne souffrait pas de cet entretien en ce moment. Ce qui lui faisait un mal affreux, ce qui entrait dans son cœur comme une pointe de couteau, c’était de l’avoir surprise, elle, son idole, en flagrant délit de mensonge. Oui, elle lui avait menti ; cette fois, il n’en pouvait plus douter. Elle lui avait affirmé qu’elle était allée au théâtre en tête-à-tête avec son mari, et c’était faux ; qu’elle y avait été triste, et c’était faux encore. À cette interrogation où se trahissait une tendre sollicitude, pouvait-il répondre