Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/386

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qu’il croyait lire dans ces beaux yeux, désarmé par l’offre qu’elle venait de lui faire, incapable de garder plus longtemps le secret de sa peine, il éprouvait ce besoin de dire ses griefs qui équivaut, dans une querelle avec une femme, à passer sa tête au lazzo.

— « Moi, je t’ai menti ! … » répondit Suzanne.

— « Oui, » insista-t-il, « quand tu m’as dit que tu étais allée au théâtre en tête-à-tête avec ton mari. »

— « Mais j’y suis allée… »

— « Moi aussi, » interrompit René ; « il y avait quelqu’un d’autre dans ta loge. »

— « Desforges ! » fit Suzanne ; « mais tu es fou, mon pauvre René, tu es fou… Il est venu nous rendre visite dans un entr’acte et mon mari l’a gardé jusqu’à la fin de la pièce. Desforges ! » continua-t-elle en souriant, « mais ce n’est personne… Je n’ai seulement pas songé à t’en parler… Voyons, sérieusement, tu ne peux pas être jaloux de Desforges ? … »

— « Tu étais si gaie, si heureuse, » reprit René d’une voix qui cédait déjà.

— « Ingrat, » dit-elle, « si tu avais pu lire au dedans de moi ! Mais c’est cette nécessité de toujours dissimuler qui fait le malheur de ma vie, et te voir, toi, me la reprocher ! Non, René, c’est trop dur ! C’est trop injuste ! … »