Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/393

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rencontré qui se promenait en voiture découverte avec une femme très jolie et habillée de rose. Puis Claude avait disparu de la pension. René l’avait retrouvé, témoin de Fresneau lors du mariage d’Émilie, et à demi célèbre déjà. Ils avaient causé. Claude lui avait demandé à voir ses vers. Avec quelle indulgence de frère aîné l’écrivain de trente ans avait lu ces premiers essais ! Comme il avait tout de suite traité son jeune confrère en égal ! Avec quelle finesse de jugement il avait appliqué à ces ébauches les procédés de la grande critique, celle qui encourage un artiste et lui indique ses fautes, sans l’en écraser. Et puis était survenue l’histoire du Sigisbée, à l’occasion duquel Claude s’était dévoué à René comme si lui-même n’eût pas été auteur dramatique. Le poète connaissait assez la vie littéraire pour savoir que la simple bienveillance, d’une génération à la suivante, est chose rare. Son rapide succès lui avait déjà fait éprouver cette sensation, la plus amère peut-être des années d’apprentissage : l’envie rencontrée chez les maîtres que l’on admire le plus, à l’école desquels on s’est formé, à qui l’on voudrait tant offrir son brin de laurier. Chez Claude Larcher le goût du talent des autres était aussi instinctif, aussi vivant que s’il n’eût pas eu déjà quinze années de plume. Et cette amitié plus que précieuse, unique, allait sombrer ! …