Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/408

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femme, et le mari, et l’amant de cœur ! — Ah ! si je pouvais ! … Elle va être à l’Opéra ce soir : si j’y allais ? Si je la prenais par les cheveux et si je lui crachais au visage, là, devant son monde, en leur criant à tous qu’elle est une fille, la plus dégradée, la plus malpropre des filles ? … » Puis se laissant retomber sur sa chaise et fondant en larmes : « Elle m’a pris… si vous aviez vu, heure par heure ! … Vous m’aviez bien dit de me méfier des femmes ! Mais quoi ! Vous aimiez une Colette, une actrice, une créature qui avait eu des amants avant vous ! Au lieu qu’elle ! … Il n’y a pas une ligne de son visage qui ne jure que c’est impossible, que j’ai rêvé… C’est comme si j’avais vu mentir les anges… Oui, je tiens la preuve, la preuve certaine… Elle descendait ce trottoir de la rue du Mont-Thabor, avec ce même pas… Pourquoi ne lui ai-je pas couru dessus, là, dans cette rue, au seuil de cette porte infâme ? Je l’aurais étranglée de mes mains, comme une bête… Ah ! Claude, mon bon Claude ! et moi qui ai pu vous en vouloir à cause d’elle ! … Et l’autre ! J’ai marché sur le plus noble cœur, je l’ai piétiné, pour aller vers ce monstre ! … Ce n’est que justice, j’ai tout mérité ! … Mais qu’est-ce qu’il y a donc dans la nature qui puisse produire de pareils êtres ? … »

Longtemps, longtemps, cette lamentation continua.