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Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/418

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femmes du monde de parler chiffons ou musique avec une dévorante anxiété au fond de leur cœur. Il balbutiait des réponses aux phrases de Suzanne, sans comprendre lui-même ce qu’il disait. À une seconde, et comme elle se penchait un peu de son côté, il respira le parfum d’héliotrope qu’elle employait d’ordinaire. Cette impression remua en lui le souvenir des baisers qu’il lui avait donnés. Il osa enfin la regarder. Il vit ces lèvres sinueuses, ce teint rosé, ces prunelles bleues, ces cheveux blonds, ces épaules et cette gorge où sa bouche avait erré, dont ses mains retenaient dans leur paume la forme divine. Ses yeux exprimèrent alors une sorte de sauvage délire dont madame Moraines eut presque peur. Elle avait bien compris, rien qu’à l’apparition du jeune homme, qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire ; mais elle était sous le regard de Desforges, et il s’agissait de ne pas commettre une seule faute. D’autre part, la moindre imprudence de René pouvait la perdre. Toute sa vie dépendait d’un geste, d’un mot du jeune homme, et elle le savait si instinctif qu’il était capable de prononcer ce mot, de faire ce geste ! Elle prit l’éventail et le mouchoir de dentelle qu’elle avait posés sur le devant de la loge, et elle se leva en passant sa main sur son front :

— « J’ai trop chaud ici, » fit-elle, en s’adressant