Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/426

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la qualité de son rival enfin, un petit jeune homme, un écrivailleur de hasard ! Vingt détails lui revenaient, pêle-mêle, et les uns plus désolants que les autres : la piteuse et gauche mine qu’il avait trouvée au poète lors de leur unique rencontre, le lendemain de la soirée à l’hôtel Komof ; des rêveries de Suzanne, depuis inexplicables, et auxquelles il avait pris à peine garde, des allusions faites par elle à des visites du matin chez le dentiste, au Louvre ou au Bon-Marché. Et il avait tout avalé, lui, le baron Desforges ! « J’ai été trop bête ! » se répéta-t-il à voix haute. « Mais comment a-t-elle pu ? … » Ce qui achevait de l’accabler, c’était de ne pas comprendre la façon dont elle s’y était prise, même à cet instant où l’attitude de René dans la loge ne lui laissait aucun doute. Non, il n’y avait pas de doute possible. Pour qu’il se fût permis cette scène, et que Suzanne l’eût prise de la sorte, il fallait qu’elle fût sa maîtresse. « Mais comment ? » se demandait-il, « elle ne l’a pas reçu chez elle, je l’aurais su par Paul. Elle ne l’a pas vu dans le monde. Il ne va nulle part… » Il dit encore une fois : « J’ai été trop bête ! … » Et il ressentit un véritable mouvement de colère contre celle qui était la cause du trouble pénible auquel il était en proie. Il avait dépassé le café de la Paix, et il dut écarter deux femmes qui l’abordaient avec