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Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/456

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avec ses deux tasses à thé, un flacon de vin d’Espagne et des bouchées au foie gras, sur un plateau de porcelaine, témoignaient que l’hôte de ce tranquille logis attendait quelqu’un. De petites cigarettes russes à long bout de papier dans une coupe, les favorites de Colette, indiquèrent assez à René qui était ce quelqu’un. Il n’aurait pas osé y croire cependant sans le visible embarras de son ami, qui finit par lui dire, avec un sourire un peu honteux :

— « Ma foi, j’aime mieux que vous le sachiez : canis reversus ad vomitum suum.— Oui, j’attends Colette. Elle doit venir après le théâtre. Vous serait-il désagréable de la rencontrer ? … »

— « Franchement, » fit René, « j’aime mieux ne pas la voir. »

— « Et vous, » interrogea Claude, « où en êtes-vous ? … » Et, quand le poète lui eut raconté, en quelques mots, sa situation actuelle, la scène à l’Opéra, la visite de Suzanne, puis la demande de rendez-vous par lettre, il reprit : « Que vous répondre ? Avec ma faiblesse actuelle, est-ce que j’ai qualité pour vous parler ? Qu’importe ? J’y vois bien juste pour moi, tout en me laissant choir à chaque pas, comme un aveugle. Pourquoi n’y verrais-je pas juste pour vous, qui aurez peut-être plus d’énergie que je n’en ai ? Vous êtes plus jeune, et surtout vous n’êtes pas