Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/467

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sa poitrine la main de son locataire et qu’elle le regarda, elle vit dans ses yeux à lui une si méprisante froideur, mélangée d’un tel dégoût, qu’elle lâcha cette main. Elle reprit la note, et tâcha de couvrir sa confusion par un flot de paroles, expliquant tel ou tel détail d’un compte augmenté fantastiquement, que le poète ne daigna pas vérifier. Il lui remit la somme qu’il lui devait, par moitié en papier, par moitié en or. L’échec humiliant de sa tentative amoureuse n’avait pas aboli chez elle la force du calcul, car elle vérifia les billets bleus en les regardant à contre-jour, et, comme elle comptait les louis d’or, elle les examina l’un après l’autre. Une pièce ne lui ayant pas semblé de poids, elle la fit tinter, puis, après quelque hésitation :

— « Je vais être obligée de vous en demander une autre… » dit-elle.

Cette double impression d’éhontée luxure et de basse cupidité s’accordait si bien avec les pensées de René, qu’il éprouva, pendant le quart d’heure qu’il mit à porter de l’appartement dans son fiacre les quelques objets intimes épars dans les trois pièces, cette gaieté terrible, appelée si âprement et si justement par un humoriste la « gaieté d’un croque-mort qui s’enterre lui-même. » Quand la voiture roula, cette voiture de place cahoteuse, au drap taché, où il faisait comme le