Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/505

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science, que diriez-vous d’un médecin qui, sous le prétexte d’étudier sur lui-même une maladie contagieuse, se la donnerait et avec lui à toute une ville ? Ces grands écrivains que vous enviez, songez-vous quelquefois à la tragique responsabilité qu’ils ont prise en propageant leur misère intime ? Je n’ai pas lu ces deux romans que vous avez nommés, mais le Werther de Gœthe, mais le Rolla de Musset, je me les rappelle. Croyez-vous que dans le coup de pistolet que vient de se tirer René, il n’y ait pas un peu de l’influence de ces deux apologies du suicide ? Savez-vous que c’est une chose effrayante de penser que Gœthe est mort, que Musset est mort, et que leur œuvre peut encore mettre une arme à la main d’un enfant qui souffre ? … Non ! les maladies de l’âme veulent qu’on ne les touche que pour les soulager, et cette espèce de dilettantisme de la misère humaine, sans pitié, sans bienfaisance, que je connais bien, me fait horreur… Croyez-moi, » conclut-il en montrant à l’écrivain la croix dressée au-dessus de la porte de l’église du couvent des Carmes, « personne n’en dira plus que celui-là sur la souffrance et sur les passions, et vous ne trouverez pas le remède ailleurs. »

— « Il trompe comme le reste, » dit Claude, que la certitude du prêtre achevait d’irriter : « c’est en son nom que vous avez élevé René, et vous