Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/75

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de réciter les premiers vers de son rôle avec ses lèvres à la fois un peu renflées et fines, et l’angoisse de René fut portée à son comble, tandis qu’il écoutait autour de lui les chuchotements presque à voix haute que les gens du monde se permettent volontiers lorsqu’une artiste joue dans un salon. « Elle est bien jolie…— Croyez-vous que ce soit le même costume qu’au théâtre ? …— Ma foi, elle est trop maigre pour mon goût…— Quelle voix sympathique ! …— Non, elle imite trop Sarah Bernhardt…— J’adore cette pièce, et vous ? …— Les vers, moi, ça me fait dormir… » L’oreille aiguë du poète surprenait ces exclamations et d’autres encore. Elles furent réprimées par une bordée de « chut » ! qui partirent d’un groupe de jeunes gens, tout près de René, parmi lesquels se distinguait un personnage chauve, au nez un peu fort, à la face congestionnée. La comtesse lui envoya de la main un geste de remerciement et, se retournant vers son voisin :

— « C’est M. Salvaney, » fit-elle, « il est amoureux fou de Colette. »

Le silence s’était rétabli, un silence troublé à peine par le bruit des respirations, le froissement des étoffes et la palpitation des éventails. René, maintenant, écoutait chanter la musique de ses propres vers avec une griserie délicieuse, car, à