Page:Bourget - Nouveaux Essais de psychologie contemporaine, 1886.djvu/127

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dans les Poèmes tragiques l’admirable Épiphanie :

Elle passe, tranquille, en un rêve divin,
Sur le bord du plus frais de tes lacs, ô Norwège !
Le sang rose et subtil qui dore son col fin
Est doux comme un rayon de l’aube sur la neige.

Ce svelte et gracieux fantôme évoqué sous le ciel du Nord, dans ces paysages comme spiritualisés par la blancheur de la neige, l’azur pâle de l’horizon, la froideur des eaux, l’immobilité des immortelles verdures, — cette femme idéale qui ne tient à la vie que par sa forme et dont les yeux ouverts se lèvent vers l’inconnu,

Purs d’ombre et de désir, n’ayant rien espéré
Du monde périssable où rien d’ailé ne reste,


cet être de délicatesse et d’ineffable douceur, c’est le songe même du poète ayant pris corps dans une vision à la fois réelle et symbolique ; une telle ferveur d’extase suffit à révéler la présence en lui d’une sensibilité toujours ardente et toujours froissée, la palpitation d’un cœur dont la souffrance n’a pu triompher, — et ne sont-ce pas là les signes mêmes du poète ?

Avec une intelligence de cet ordre et cette sensibilité, comment M. Leconte de Lisle devait-