Page:Bourget - Un homme d’affaires - Dualité - Un Réveillon - L’outragé, Plon, 1900.djvu/111

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devenir pour Béatrice le principe d’un nouvel éveil d’idées, auxquelles se mêlait maintenant un autre souvenir, celui de Gabriel Clamand, du jeune homme qu’elle aimait, — comme une jeune fille peut aimer. Les virginales émotions d’un cœur de vingt ans sont délicieuses de fraicheur, d’élan sincère, de spontanéité frissonnante ; mais, il faut bien l’avouer, au risque de contredire ce touchant préjugé sur la force du premier amour dont tant de poètes se sont faits les complices, ces émotions sont plutôt rêvées que vécues, plutôt désirées qu’éprouvées, plutôt pressenties que senties. Ce sont des annonces, des préludes de la passion. Ce n’est pas la passion. Il y manque cette brûlure directe de la réalité, cette invasion de l’être par la fièvre des sens et de l’âme à la fois. Enfin, la femme n’est qu’ébauchée chez la jeune fille. Les romanesques tendresses de celle-ci ressemblent à ces arbustes grandis de la veille, qui promettent, si les vents ne sont pas trop durs, la gelée pas trop rude, des efflorescences magnifiques. Ils ne sont pas assez racinés pour tenir contre une tempête. Quelle place les douces et fines voluptés d’âme, goûtées par Béatrice auprès de Gabriel, pouvaient-