Page:Bourget - Un homme d’affaires - Dualité - Un Réveillon - L’outragé, Plon, 1900.djvu/178

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

hommes et de femmes, appartenant tous et toutes à la race anglaise ou germanique. Presque tous et toutes étaient aussi des gens âgés ou malades, aux gestes mesurés, à la voix volontiers abaissée, enfin, un vrai petit clan d’ « honnêtes et discrètes personnes », comme on disait dans les anciennes épitaphes, de quoi justifier les prétentions de la patronne à tenir une maison sans aucun rapport avec les autres hôtels des deux rivières, celle du ponant et celle du levant. Je regardais ces commensaux avec une curiosité déjà passionnée. Je croyais pressentir, tant l’endroit était singulier, du roman partout, derrière chaque physionomie, depuis celle de cette digne matrone en grand deuil, à qui la Balbi faisait les honneurs de sa droite, jusqu’à celle de cet Allemand de trente-cinq ans, dont les yeux bleus si futés sous leurs lunettes d’or semblaient quêter parmi ces figures féminines une infortune à consoler et une dot à enlever. Et déjà mon imagination commençait de vagabonder autour des uns et des autres, quand le coup de foudre de la surprise la plus terrassante déconcerta soudain mes idées au point de me faire rester une minute