Page:Bourget - Un homme d’affaires - Dualité - Un Réveillon - L’outragé, Plon, 1900.djvu/191

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falots de barque tremblaient sur l’immense masse obscure et mouvante de la Méditerranée. La taciturne et solennelle beauté de ce spectacle me saisit profondément, — pas assez pour que j’oubliasse pourtant et la pseudo-Mme de La Charme, et le jeune homme qui lui faisait vis-à-vis. L’antithèse était trop forte entre la poésie frelatée de l’aventure clandestine et sentimentale que je croyais avoir surprise et la puissante, la saine poésie de ce ciel étoilé, de cette mer murmurante, de cette côte endormie. Assis sur un des rochers contre lesquels s’adosse l’estacade de bois qui ferme le petit port, j’eus un véritable accès de remords devant mon éternelle impuissance à me simplifier l’âme. Je m’en voulais à moi-même de ne pas être uniquement, totalement, le passant de cette heure et de cet endroit. J’en voulais à Mme de Saint-Cygne surtout. Aujourd’hui, ma révolte d’un instant s’est changée en gratitude. N’est-ce pas elle qui m’a rendu inoubliables et cette nuit et cette plage, en me révélant le secret presque tragique d’un tête-à-tête que j’avais jugé si vulgaire ?