Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/106

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— « Surtout à Monte-Carlo, » répondit Corancez. « Et puis, j’ai une conviction ; « l’archiduc n’aime pas la baronne, il n’en est pas moins jaloux d’elle jusqu’à la fureur ; et rien de féroce comme un jaloux sans amour… Othello a étouffé sa femme pour un mouchoir qu’il lui avait donné, et il l’adorait. Juge un peu du tapage que celui-ci pourrait faire à propos du porte-cigarettes qu’elle a vendu, si ce porte-cigarettes vient de lui.. »

Ce petit discours, débité sur un ton mi-sérieux, mi-plaisant, enfermait un bon conseil que le Méridional tenait à donner à son ami avant son départ. C’était comme s’il lui eût dit, en clair et simple français : « Fais la cour à cette jolie femme tant que tu voudras : elle est délicieuse… Sois son amant. Mais défie-toi du mari… » Il vit la physionomie transparente d’Hautefeuille se voiler soudain, et il s’applaudit d’avoir été compris si vite. Comment se fût-il douté qu’il venait de toucher à une blessure, et que cette allusion à la jalousie du prince avait seulement avivé chez l’amoureux la douleur du remords dont saignait cette tendre, cette scrupuleuse conscience ? Hautefeuille était trop fier, trop viril dans sa délicatesse, pour admettre une minute des calculs comme celui auquel son camarade l’invitait diplomatiquement sur le plus ou moins de facilité d’un adultère. Il était de ceux qui ne sont atteints, quand ils aiment, que par la souffrance de l’être qu’ils aiment, un de ces cœurs naturellement héroïques dans la tendresse, et toujours prêts à