Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/139

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sur les autres de ses propres inconséquences par l’acuité implacable de sa critique. Jamais l’admiration n’allait, dans sa bouche, sans quelque dénigrante et cruelle réserve. Seules les recherches scientifiques et leurs inébranlables certitudes paraissaient communiquer à cette intelligence déréglée un peu de repos, comme une assiette plus ferme. Depuis l’époque où ses dissentiments avec sa femme avaient abouti à ce divorce tacite et décent, imposé d’en haut, ces recherches l’avaient absorbé davantage encore. Retiré à Cannes où le retenait une laryngite obstinée, il y avait tant travaillé qu’il s’était, d’amateur, transformé en professionnel, et une série de découvertes importantes sur l’électricité lui avaient donné une demi-gloire dans le monde des spécialistes. Ses ennemis avaient bien répandu le bruit qu’il publiait simplement sous son nom les travaux de Marcel Verdier, un ancien élève de l’École normale, attaché à son laboratoire depuis plusieurs années. Il faut rendre cette justice à l’archiduc, cette calomnie — dont Corancez s’était fait l’écho près d’Hautefeuille— n’avait pas entamé l’affection enthousiaste et jalouse que l’étrange homme portait à son aide. Car un dernier trait de ce prince, inégal, incertain, et, par suite, profondément, passionnément injuste, était de ne sentir que par engouements. L’histoire de ses relations avec sa femme reproduisait l’histoire de sa vie. Il l’avait dépensée tout entière en alternatives de sympathie désordonnée et d’antipathie