Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/163

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avait été remuée dans le plus intime arrière-fond de sa violente et indomptable nature : le sauvage instinct de révolte, endormi chez elle par son amour, s’était de nouveau soulevé dans son cœur. La plaie de son orgueil, adoucie, presque refermée par une influence de tendresse, s’était soudain rouverte et saignait. Enfin, elle venait de sentir à nouveau l’injuste dureté de la destinée, qui la livrait, malgré tout et toujours, pieds et poings liés, à ce terrible prince, le mauvais génie de sa jeunesse. Quant à Hautefeuille, les sombres légendes recueillies, de-ci de-là, sur la tyrannie et la jalousie de l’archiduc, avaient soudain pris corps devant ses yeux. Cette vision des deux époux en face l’un de l’autre, l’un menaçant, l’autre outragée, lui avait été si intolérable à seulement imaginer ! Elle venait de se réaliser en un inoubliable tableau durant les quelques minutes que le prince avait passées dans le salon. Cela suffisait pour faire de lui, pendant cet entretien, un homme tout différent. Les caractères comme le sien, toute pureté et toute délicatesse, ont des incertitudes par excès de scrupule, des indécisions par respect de la sensibilité d’autrui, qui donnent l’idée de la faiblesse, presque de l’enfantillage. Sont-ils en présence d’une situation vraie et d’un devoir positif, c’est une volte-face subite, une reprise invincible de leur énergie. Il leur suffit de penser qu’ils peuvent être utiles à ce qu’ils aiment pour trouver dans la sincérité de leur dévouement toutes les vigueurs dont ils paraissaient