Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/170

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comprise par les deux autres équipages, de les dépasser ; et, tout de suite, un pari tacite s’était comme engagé entre le prince Russe, le grand seigneur Anglais et le millionnaire Américain, tous les trois également fanatiques de sport, tous les trois fiers de leur bateau, comme des jeunes gens le sont de leurs chevaux ou de leurs maîtresses. Au regard de Dickie Marsh, et tandis qu’il criait ses ordres dans le porte-voix, le paysage se réduisait à une sorte de schéma idéal : un triangle mouvant dont les trois yachts marquaient les trois extrémités. Il ne voyait littéralement pas l’admirable horizon déployé autour de lui. En vain l’Esterel violet développait la longue ligne ondulée de ses montagnes, les sombres cassures de ses ravines boisées et le déchiquetage de ses caps. En vain le port de Cannes allongeait son môle, avec la vieille ville étagée au-dessus et son église, dans une atmosphère si transparente que l’on aurait pu compter chaque petite fenêtre derrière son volet, chaque arbre derrière sa muraille. En vain la colline de Grasse s’étalait au fond, luxuriante de culture, tandis que, sur la baie, la suite des blanches villas s’égrenait parmi les jardins, et que les îles, semblables à deux oasis d’un vert sombre, marquaient un point de départ à la courbe d’un autre golfe, achevée sur la pointe solitaire d’Antibes ; et les arbres de cette pointe, comme ceux des îles, ces bouquets de pins parasols penchés d’un seul côté, disaient le drame éternel de cette côte, la bataille du mistral et des flots