Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/185

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d’où l’on découvrait la mer et les îles. Au centre, un carré de terre nue formait un patio planté de gigantesques camélias poussés librement. Le sol était tapissé, feutré, étouffé par la jonchée des épais pétales rouges, roses et blancs, tombés des branches, brillants et lisses comme des éclats de marbre. D’autres fleurs, rouges, roses et blanches, luisaient dans le sombre feuillage lustré. Là il l’avait, pour la seconde fois, tenue entre ses bras, plus près de lui encore, — et plus près encore dans un coin perdu de l’adorable villa Ellen-Rock, à Antibes… Il était venu l’y attendre à l’un des rares moments où elle avait pu se dérober aux servitudes de son rang. Elle était arrivée si belle, si mince, tout en mauve, sur un sentier bordé de cinéraires bleues, de pensées jaunes et de larges anémones violettes. Des rosiers tout proches emplissaient l’air d’un arôme pareil à l’arôme d’à présent, et, assis tous deux sur la bruyère blanche, sous les pins noirs au tronc rougeâtre qui descendent vers une petite crique d’eau bleue et de rochers gris, il avait appuyé sa tête sur le cœur de sa chère compagne de promenade… Maintenant, rien qu’à regarder son buste jeune, il lui semblait entendre le battement profond de ce cœur, et retrouver contre sa joue la forme divine de ce sein. Tous ces souvenirs — d’autres encore, aussi vivants, aussi troublants — se mélangeaient à son émotion présente. Elle en prenait une amplitude qui dépassait presque les forces de son être. Une grande houle intérieure le soulevait, le portait vers l’heure, bien voisine,