Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/283

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l’âme avec une autre âme ne devient possible que par le sortilège de l’amour, et l’amitié cesse de suffire au cœur. Elle va rejoindre au second plan les affections de famille qui, elles aussi, occupèrent un moment une place unique chez l’enfant et chez l’adolescent. Il se rencontre pourtant certains hommes, et Olivier était du nombre, chez qui l’impression produite par l’amitié, aux environs de la dix-huitième année, a été trop forte, trop profonde, surtout trop délicate, pour ne pas demeurer quelque chose d’inoubliable, et, au sens exact du mot, d’incomparable. Ces hommes-là ont pu, comme lui, traverser ensuite des passions brûlantes, subir l’amour avec les dures secousses de ses fièvres, se meurtrir aux plus audacieuses aventures. Le vrai roman de leur sensibilité n’est pas là. Il est dans les heures du départ pour la vie, où ils s’élançaient en pensée vers l’avenir avec un camarade d’Idéal, avec un frère qu’ils s’étaient choisi, en compagnie duquel ils ont réalisé un instant cette union totale des esprits, des goûts, des espérances, qui faisait définir l’amitié par un ancien : « Une seule âme dans deux corps », et dire à La Fontaine dans sa fable sublime :

L’un ne possédait rien qui n’appartint à l’autre…

Cette camaraderie d’Idéal avait eu, pour Olivier et pour Pierre, le ciment sacré : ils n’avaient pas été seulement des frères de rêve, ils avaient été des frères d’armes. Ils avaient eu leurs dix-neuf ans en 1870. À la première nouvelle de l’immense