Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/290

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d’un pénétrant arome qui ressemblait, lui aussi, aux senteurs respirées jadis à l’heure des baisers. Le jeune homme prit au hasard une touffe d’œillets rouges. Il sortit, les tenant à la main, puis il songea : « Je n’ai plus personne à qui les offrir… » Par contraste, l’image de son ami et de Mme de Carlsberg se présenta ; et il subit, par-dessous toutes les émotions singulières qu’il éprouvait depuis seize heures, une autre émotion encore et bien inattendue : la plus instinctive, la plus irraisonnée des jalousies. Il haussa les épaules, et il fut sur le point de jeter les œillets sur le pavé ; puis, avec une de ces ironies solitaires où se soulage parfois l’extrême amertume du cœur :

— « Tu l’as voulu, Georges Dandin ! … » pensa-t-il. « Je vais offrir ces fleurs à ma femme. Elles me serviront d’excuse pour être sorti sans lui dire bonjour… »

Quand il entra dans le salon de leur petit appartement, à l’hôtel, afin d’exécuter ce projet, si bourgeois pour lui, de galanterie maritale, Berthe était assise à son bureau. Elle écrivait une lettre, d’une longue et haute écriture impersonnelle, sur un buvard de voyage. Autour de ce buvard, vingt petits objets étaient déjà rangés : une pendule, des portraits dans leurs gaines en cuir, le livre d’adresses, le block-notes, la boîte à timbres, un calendrier, comme si elle eût habité l’appartement, non pas depuis quelques heures, mais depuis de longues semaines. Elle portait un costume tailleur, choisi avec l’idée que son mari