Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/340

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longues, ces heures ! Et douloureusement, indéfiniment, lui semblait-il, ses nerfs s’exaspéraient à en compter les minutes. Elle avait condamné sa porte, ne faisant exception que pour le redoutable visiteur. Sur le point d’engager ce duel d’où l’avenir de son bonheur dépendait, il lui fallait se retremper, se recueillir dans une dernière solitude. Ce lui fut donc une surprise dont elle dissimula mal la contrariété, lorsque, vers une heure et demie, elle vit entrer dans le salon Yvonne de Chésy qui avait forcé la consigne. Elle n’eut qu’à regarder la physionomie de la jolie et frivole Parisienne pour s’apercevoir qu’un drame se jouait aussi dans cette vie qui semblait devoir être une fête éternelle. Le visage enfantin de la jeune femme exprimait une douleur étonnée. Ses yeux, si gais d’ordinaire, avaient dans leurs prunelles bleues comme une épouvante stupéfiée devant une chose horrible, découverte tout à coup, et ses gestes révélaient une nervosité tendue qui contrastait étrangement avec la légèreté de son papillonnage accoutumé. Ely se rappela soudain la confidence de Marsh sur le bateau : elle eut la vision subite que Brion commençait d’exercer sur la pauvre enfant son chantage d’amour. Elle se reprocha son mouvement d’impatience, et, même dans son angoisse, elle retrouva toute sa grâce d’accueil pour l’infortunée qui balbutiait une excuse :

— « Vous avez bien fait de forcer ma porte ; vous savez que, pour vous, j’y suis toujours… Mais vous voilà bouleversée. Que se passe-t-il ? »