Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/349

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le rendiez mauvais, cruel, à force de le torturer. Est-ce vrai, cela aussi, est-ce vrai ? … Et est-il vrai encore que votre orgueil de femme a été blessé de cet abandon, et que vous avez voulu vous venger ? … Nierez-vous que dix-huit mois plus tard, ayant rencontré l’ami le plus intime et le plus cher de cet homme, la seule profonde, la seule complète affection de sa vie, vous ayez conçu cette affreuse idée : vous faire aimer de cet ami, avec l’espoir, avec la certitude, que l’autre l’apprendrait un jour et qu’il souffrirait atrocement de savoir son ancienne maîtresse devenue la maîtresse de ce meilleur, de cet unique ami, de ce frère ? … Le nierez-vous ? »

— « Je ne le nierai pas, » répondit-elle.

Cette fois, une pâleur livide s’était répandue sur son beau visage. Cette pâleur, le port de cette pauvre tête penchée en avant comme sous l’accablement des coups répétés qu’elle recevait, ses yeux fixes, sa bouche entr’ouverte et à qui l’air manquait, l’humilité de ses réponses, qui prouvaient tant de sincérité dans cette âme, une si profonde résolution de ne pas se défendre, tout aurait dû désarmer Olivier. Mais en prononçant ces mots : « la maîtresse de son ami », il venait de voir l’image qui le crucifiait depuis la première heure du soupçon : le visage d’Hautefeuille près de ce délicieux visage de femme, ses prunelles regardant ces prunelles, ses lèvres baisant ces lèvres. Les aveux d’Ely ne faisaient que donner une réalité plus indiscutable à cette vision, et ils