Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/364

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Elle s’était dit : « Olivier y va… » et la douloureuse fureur de la passion impuissante s’était déchaînée en elle. Puis, comme toutes les femmes jalouses, elle s’était livrée à cet irrésistible, à ce sauvage instinct de l’enquête matérielle qui n’apaise, qui n’assouvit rien, — car de trouver une preuve que notre soupçon a deviné juste, est-ce moins souffrir de la jalousie qui nous a inspiré ce soupçon ? — Elle était allée dans la chambre de son mari, et là, dans la corbeille à papier, elle avait pu voir, jetés par la main fiévreuse du jeune homme, les débris de vingt feuilles peut-être : les brouillons des lettres que, la nuit dernière, elle l’avait entendu froisser et déchirer. Ces débris, elle les avait, les mains tremblantes, les joues brûlantes, la gorge étranglée de ce qu’elle osait faire, recueillis et mis ensemble. Elle avait ainsi reconstitué une vingtaine de commencements de billets, indifférents pour qui n’aurait pas eu la divination de l’amour blessé, mais, pour elle, d’un sens terriblement, affreusement précis. Tous étaient adressés à une femme, et Berthe pouvait y voir l’incohérence de la pensée d’Olivier, — tour à tour cérémonieux : « Madame, permettrez-vous à un passant qui n’a pas eu l’honneur de vous… » ; ironique : « Vous ne serez pas étonnée, madame, que je ne veuille pas quitter Cannes… » ; — familier : « Je me reproche, chère madame, de n’être pas encore allé frapper à votre porte… » Que la plume du jeune homme avait hésité sur la formule, pour demander cette chose