Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/366

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reçut une carte d’Olivier sur laquelle il avait griffonné au crayon — avec la même écriture — qu’un ami rencontré le gardait à déjeuner et qu’il la priait de se mettre à table sans lui !

— « Elle l’a repris ! Il est chez elle ! … » Quant elle se fut formulé cette pensée, avec l’horrible douleur de l’évidence qui perce l’âme comme un clair et froid couteau, elle sentit qu’elle ne pouvait physiquement pas supporter cette nouvelle épreuve. Avec l’automatisme presque inconscient de semblables minutes, elle prit son chapeau, sa voilette, ses gants. Puis, quand elle fut habillée et prête à sortir, un dernier reste de raison lui montra l’extravagance du projet qu’elle venait de concevoir : — aller elle-même chez sa rivale, y surprendre Olivier et en finir. — En finir ! … Elle se vit dans la glace, pâle, claquant des dents, remuée de ce même convulsif tremblement. Elle comprit que cette démarche, dans un tel état, auprès d’une telle femme, était insensée. Mais, cette démarche, si un autre pouvait la faire ? un autre aller dire à Olivier : « Ta femme sait tout. Elle souffre trop… Reviens… » ? Un autre ? Quel autre, sinon Pierre ? L’image de celui qu’elle croyait le confident de son mari ne se fut pas plus tôt offerte à l’esprit de la malheureuse, qu’avec cette même fébrilité automatique elle avait sonné sa femme de chambre. — « Priez M. Hautefeuille de monter, s’il est chez lui, » avait-elle dit, elle qui n’avait pas eu, dans sa vie, une seule conversation en