Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/377

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feuille de papier, préparée devant lui et restée blanche, attestait qu’il avait dû, aussitôt rentré, se mettre là pour écrire une lettre. Puis il n’avait pas pu. La plume était retombée sur le papier et il l’y avait laissée. Par la fenêtre, derrière cette image vivante du désespoir, un ciel miraculeux de cinq heures du soir s’attendrissait en nuances adorablement douces, où l’azur commençait à se teindre de mauve. De glorieuses gerbes de mimosas fleurissaient les vases et emplissaient de leur parfum, frais et alangui à la fois, cette cellule d’amoureux où le jeune homme avait goûté durant le paisible hiver de si romanesques heures de rêverie, où il vidait maintenant la grande coupe d’amertume que l’éternelle Dalila verse plus complaisamment à ses plus pures victimes. Durant cette tragique après-midi, Olivier avait subi bien des sensations poignantes. Il n’en avait pas connu de plus dures qu’au silencieux spectacle de cette simple douleur. Toute sa virile affection d’ami s’émut, et ses propres peines se fondirent en une tendresse immense pour ce compagnon de son enfance et de sa jeunesse qui agonisait là, sous ses yeux. Il lui mit la main sur l’épaule, doucement, légèrement, comme s’il eût deviné qu’à son contact la chair de l’amant jaloux devait se rebeller d’aversion, presque d’horreur, et il lui dit :

— « C’est moi, Pierre, c’est Olivier… Tu dois pourtant le sentir toi-même, que nous ne pouvons pas garder sur le cœur ce que nous y avons tous les deux. C’est un poids qui t’étouffe, comme il