Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/394

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ainsi tout le jour d’après, les fenêtres closes, les rideaux baissés, à fuir le jour, la vie, à se fuir, plongée, abîmée dans le noir et dans le silence, dans ce qui ressemblait le plus à la mort ! … Mais, fille d’un officier et femme d’un prince, elle avait en elle cette marque d’une éducation deux fois militaire, l’absolue exactitude à tenir ses promesses, qui fait qu’à travers tous les événements la volonté dressée à cette discipline exécute à heure fixe les consignes acceptées. Ely s’était engagée la veille à intercéder auprès de Dickie Marsh en faveur du mari d’Yvonne, et elle devait donner la réponse dans l’après-midi. Sa lassitude était si grande, au matin, qu’elle faillit écrire à Mme de Chésy pour reculer cette réponse, et, du même coup, la visite nécessaire au yacht de l’Américain. Puis elle se dit : « Non. Ce n’est pas courageux… » Et, à onze heures du matin, le visage caché par un voile de gaze blanche qui ne laissait pas deviner ses yeux rougis, ses traits altérés, elle descendait de sa voiture sur le petit quai contre lequel s’amarrait la Jenny. Quand elle vit, sous le ciel pâle de chaleur, se dessiner le gréement du yacht et la coque blanche, elle se rappela son arrivée sur les mêmes pierres ensoleillées du petit quai, dans la même voiture, presque à la même heure, quinze jours auparavant, et sa joie profonde à reconnaître la silhouette de Pierre qui la guettait, du bateau, anxieusement. Ces deux semaines avaient suffi pour que sa romanesque et tendre idylle se transformât en une sinistre tragédie. Où était son