Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/434

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voici que chacun d’eux se reprenait à penser à la liaison de l’autre avec Ely. Olivier faisait-il quelque allusion à une chose d’Italie ? L’imagination de Pierre s’en allait vers Rome. Il voyait Ely, son Ely de la terrasse fleurie de camélias blancs et rouges, son Ely du jardin Ellen-Rock, son Ely de la nuit en mer. Mais au lieu de venir à lui, elle allait vers Olivier. Au lieu de le prendre sur son cœur, elle y prenait Olivier. Elle embrassait Olivier. Elle se donnait à lui, et cette vision de jalousie rétrospective le suppliciait ! … Lui-même faisait-il, en causant, l’allusion la plus inoffensive à la beauté des promenades autour de Cannes ? Il pouvait voir les prunelles de son ami se ternir d’une souffrance où il reconnaissait sa propre souffrance. Olivier le voyait en pensée marchant vers Ely, la prenant entre ses bras, lui baisant la bouche. Cette communion dans la même sorte de douleur, en même temps qu’elle leur faisait horriblement mal, les attirait d’un attrait morbide. Qu’ils eussent voulu, dans ces moments-là, s’interroger l’un l’autre sur les plus intimes secrets de leur roman réciproque, tout en savoir, tout en comprendre, se martyriser à tous les épisodes ! En tête-à-tête, un dernier reste de dignité les empêchait de s’abandonner à ces honteuses confidences, et, à table, quand Berthe était là, ils détournaient la conversation aussitôt, pour ne pas donner une émotion de plus à la jeune femme. Ils l’entendaient respirer de ce souffle inégal, trop bref tour à tour et trop profond,