Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/436

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réapparaissaient. Il revoyait Ely, non pas l’Ely orgueilleuse et coquette d’alors, celle qu’il avait brutalisée en la désirant, haïe en l’aimant, par désespoir de la posséder jamais jusqu’au cœur, — mais l’Ely d’à présent, celle qu’il avait vue si tendre, si passionnée, si sincère, avec une âme à la ressemblance de sa beauté ; et tout son être s’en allait vers cette femme, dans un élan de désir et d’amour. Il lui parlait tout haut, en l’implorant comme un insensé. Le son de sa propre voix le réveillait de cette espèce de songe. Il sentait avec horreur la folie de cet enfantillage et ce qu’il y avait de criminel dans ce lâche désir. Il se représentait son ami, et il se disait : « S’il savait cela ! … » Il aurait voulu lui demander pardon de ne pouvoir cesser d’aimer Ely, et pardon aussi d’avoir accepté cette parole d’honneur qu’il n’aurait jamais dû accepter. Il le savait : à la même minute, Pierre souffrait du même mal que lui : et cela, c’était trop injuste ! Toujours, à ce moment de son martyre, une idée assaillait l’esprit et le cœur d’Olivier, s’il allait pourtant trouver Pierre, s’il lui disait : « Tu l’aimes, elle t’aime… Reste auprès d’elle et oublie-moi… » Hélas ! devant ce projet d’une magnanimité suprême, il sentait avec une égale force et que Pierre lui répondrait non, et que lui-même ne serait pas sincère ; et il le comprenait, avec un mélange d’épouvante et de honte, c’était, malgré tout, une joie pour lui, une sauvage, une hideuse joie, mais une joie, de penser que si Ely n’était plus sa