Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/456

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trouve pas les mots pour te dire mes pensées. Il y a pourtant quelque chose de trop cruel à m’abandonner sans que je t’aie fait comprendre quelles excuses je peux avoir eues autrefois pour avoir agi d’une certaine manière. Si je t’avais auprès de moi, une heure, une seule heure encore, tu t’en irais ensuite, mais tu me jugerais autrement. Ce qui a été ne peut plus être. Mais je voudrais, dans ma solitude, emporter avec moi cette consolation que tu me vois telle que je suis, que tu ne me crois pas capable de ce que je n’ai pas commis. Mon aimé, les heures me sont comptées. Tu pars demain. Quand tu liras cette lettre, si tu la lis, nous n’aurons même plus un jour entier à être dans la même ville. Si tu la lis pourtant, ma pauvre lettre, et si elle t’a touché, si tu as trouvé que je t’adressais une juste demande, viens à l’heure où tu venais, chez moi. Après onze heures je t’attendrai dans la serre. Si tu m’as condamnée sans appel, et si tu refuses de m’accorder cette dernière entrevue, adieu, alors, adieu, adieu, et pas un reproche contre toi ne s’échappera de mes lèvres ni de mon cœur et je ne t’en dirai pas moins toujours et toujours : merci, mon aimé, pour m’avoir fait t’aimer. »

— « Je n’irai pas, » se dit le jeune homme, quand il eut achevé la lecture de ces pages d’où émanait une si passionnée suggestion d’amour. Il se répéta : « Je n’irai pas. » Mais il savait qu’il n’était plus de bonne foi avec lui-même et qu’il ne résisterait plus, qu’il se rendrait à ce douloureux