Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/458

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silencieux paysage. Quelle nuit à marcher vers sa maîtresse avec toutes les extases dans le cœur tous les baisers au bord des lèvres, et, dans les veines, toutes les fièvres de la volupté pressentie ! Pierre, cependant, à mesure qu’il approchait du rendez-vous, éprouvait une inexprimable tristesse. En se réalisant, son action lui apparaissait comme si coupable qu’il en était accablé. Il l’accomplissait pourtant. Il allait. Le philtre insinué dans ses veines par les phrases de la lettre continuait à dominer sa volonté défaillante. Il allait, mais le contraste entre cette course clandestine et scélérate vers une femme qu’il méprisait, qu’il se méprisait de désirer, ressemblait si peu à ses arrivées d’autrefois à cette même villa, par ce même chemin, ferventes comme un pèlerinage ! … Et Olivier ? … Dieu ! si Olivier l’apercevait à présent, cet Olivier qu’il trahissait si cruellement ! … Telle était la tension de tout son être, secoué par le double frisson de l’amour et du remords, que les moindres bruits le bouleversaient maintenant. Autour de lui, les formes des choses prenaient des aspects menaçants et fantastiques. Son cœur battait, ses nerfs tressaillaient, il avait peur. Il lui semblait qu’un pas le suivait dans la nuit, et il s’arrêtait pour écouter. À un moment, et comme il se préparait à franchir le talus par lequel il avait l’habitude d’entrer dans le jardin d’Ely, cette sensation qu’il était suivi fut si forte qu’il revint en arrière, explorant la route, les buissons, les tas de pierres, et, comme un voleur, il évitait