Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/462

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un désespoir où se résumaient, où se ramassaient toutes les tristesses éprouvées durant ces deux semaines. Il savait qu’à cette même minute, dans cette maison muette, si près de lui, Ely et Pierre étaient ensemble. Il savait qu’ils se pardonnaient, qu’ils s’aimaient, et cette idée lui causait une peine si aiguë qu’elle le paralysait à cette place. Un amour passionné pour cette femme, le sentiment que son ami, cet ami si cher, avait marché sur lui pour aller vers elle, le mortel frisson de la jalousie et l’amertume de la trahison, tant d’inexprimables émotions le faisaient défaillir. Il finit par se coucher tout de son long sur la terre froide, cette terre qui nous recouvrira tous un jour et dont le poids, en nous écrasant, écrasera aussi l’insupportable révolte du cœur. Et il gisait, les bras étendus, le visage dans l’herbe, comme un cadavre, et souhaitant de mourir en effet, de s’en aller, de ne plus aimer cette femme, de ne plus revoir son ami, de ne plus se sentir exister, de dormir enfin du sommeil sans rêves, sans souvenirs, un sommeil où Ely et Pierre et lui-même seraient comme s’ils n’avaient jamais été !

Combien de temps demeura-t-il ainsi, la face contre terre, en proie à ce chagrin total, irrémédiable, qui finit par nous pacifier l’âme à force de l’épuiser ? Un bruit de voix entendu derrière la haie qui le séparait du jardin le réveilla brusquement de cette extase de douleur où il était tombé.