Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/57

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avait vu la baronne Ely vendre l’étui à cigarettes, et le jeune homme le racheter ; or cette personne était celle dont le romanesque amoureux eût certainement le plus redouté le regard. Avoir été vu par elle ou par Mme de Carlsberg elle-même, c’était tout un : car le témoin des deux marchés successifs n’était autre que Mme Brion, la confidente de la baronne Ely, l’intime amie qui la recevait dans sa villa depuis une semaine, et cette amie pouvait-elle ne pas rapporter ce qu’elle avait surpris ? Mais pour faire comprendre avec quel intérêt singulier Mme Brion avait observé ces deux scènes et dans quels termes elle allait en parler, il est nécessaire d’expliquer comment cette étroite intimité unissait la femme d’un financier Parisien aussi peu « né » qu’Horace Brion, à une grande dame de l’Olympe Européen qui figurait au Gotha parmi les membres de la famille Impériale d’Autriche. La singularité du monde cosmopolite, son pittoresque psychologique, si l’on peut dire, la part de hasard qui corrige en lui le caractère banal inhérent à toute société composée de gens riches et désœuvrés, c’est précisément la fréquence de pareilles rencontres et l’imprévu qui en résulte. Ce monde sert de point d’intersection aux destinées les plus follement contradictoires, venues de toutes les extrémités du monde social. On y peut voir jouer les unes sur les autres des natures si dissemblables, si hostiles parfois, que les émotions les plus simples partout ailleurs y prennent, grâce à l’inattendu des circonstances,