Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/62

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une de ces familles qui sont l’aristocratie de la Haute Banque, et dont l’honorabilité professionnelle équivaut à un brevet de noblesse. Il fallait au chef actuel de la maison Rodier-Vimal, dans la crise secrète que ses affaires traversaient, un aide de camp supérieur et d’un coup d’œil magistral. Louise avait su comprendre la nécessité de cette union et l’accepter, mais pour en être horriblement malheureuse. C’était l’époque où Ely de Sallach, contrainte aussi par son père, épousait l’archiduc Henri-François, devenu amoureux d’elle aux eaux de Carlsbad, d’une de ces passions furieuses comme en peut éprouver un prince blasé de cinquante ans, pour qui sentir est une impression si violemment inattendue qu’il s’y cramponne avec toutes les fièvres de la jeunesse un instant retrouvée. L’Empereur, quoique très hostile en principe aux mariages morganatiques, avait consenti à celui-là dans l’espoir que le plus révolutionnaire de ses cousins et le plus inquiétant s’apaiserait, se réglerait par cette vie nouvelle. Le général de Sallach avait vu dans l’élévation de sa fille la certitude du feld-maréchalat. Lui et sa femme avaient pressé l’enfant d’une telle manière qu’elle avait cédé, tentée elle-même par une vanité trop naturelle à son âge. Douze ans avaient passé depuis lors et les deux, anciennes camarades du Sacré-Cœur étaient aussi solitaires, aussi misérables, aussi orphelines, l’une dans son existence comblée de demi-princesse, l’autre dans son luxe quasi royal de grande Parisienne, qu’au jour ou elles s’étaient parlé pour la